Rappels historiques,
consulter notamment : Encyclopedia
Universalis, éditeur à Paris, 1990 ;
GUIRAUD (H.), « Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule »,
supplément à Gallia, n° 48,
1988 ; GUIRAUD (H.), Intailles et camées
romains, Paris, Picard, 1996 ; GUIRAUD (H.), « Influences de l’art hellénistique sur des intailles et des
camées de Gaule », in La glyptique
des mondes classiques : mélanges en hommage à M.L. Vollenweider,
Paris, Bibliothèque nationale de France, 1997 ; Quand
la pierre se fait précieuse, Bruxelles,
éditions des musées royaux d’art et d’histoire, 1995 ; SCHUBNEL
(H.-J.), Pierres de lumière et objets
précieux, Paris, éditions Arthaud, 1987 ; SCARRE (C.),
Chronos, une chronologie visuelle
des temps anciens, n. s., éditions du Seuil, 1994 ; TALLON (F.) (sous
la direction de), Les pierres précieuses de l’Orient ancien des Sumériens aux
Sassanides, Paris, éditions de la Réunion des musées nationaux, 1995,
collection « les dossiers du Musée du Louvre ».
AMENT (H.), « Zur Wertschâtzung
antiker Gemmen in der Merowingerzeit », Germania, n° 69 / 2, 1991, p.
401-424 ; BABELON (E.), La
gravure en pierre fine : camées et intailles, Paris, Ancienne Maison
Quantin, 1894 ; BABELON (E.), Catalogue
des camées antiques et modernes de la Bibliothèque Nationale, Paris,
Ernest Leroux, 1897 ; BABELON (E.), Histoire
de la gravure sur gemmes en France depuis les origines jusqu'à l’époque
contemporaine, Paris, Société de propagation des livres d’art, 1902
; BEQUEST (F.), DALTON (O.M.), Catalogue
of the finger rings, early christian, byzantine, teutonic, mediareview and
later, Londres, British Museum, 1912 ; DALTON (O.M.), Catalogue
of the engraved gems of the post-classical periods in the department of the
mediareview antiquities and ethnography in the British Museum, Londres,
1915 ; HAHNLOSER (H.R.), « début
de l’art des cristalliers aux pays mosans et rhénans », Les monuments historiques de la France, vol. XII, 1966, p. 19-23 ;
HAHNLOSER (H.R.), BRUGGER-KOCH (S.), Corpus
der Hartsteinschliffe des 12-15 Jahrhunderts, Berlin, Deutscher Verlag für
kunstwissenschaft, 1985 ; KORNBLUTH (G.),
Engraved gems of the Carolingian Empire, Pennsylvania, The
Pennsylvania State University Press, 1995 ; MIDDLETON (J.-H.), The engraved gems of classical times with a catalogue of the gems in the
Fitzwilliam Museum, Cambridge, University Press, 1891 ; WENTZEL (H.), «
Portraits “à l’antique” on French mediareview gems and seals »,
Journal of the Warbourg and Courtald Institutes, n° 16, 1953, p.
342-350 ; WENTZEL (H.), « Die mittelalterlichen Gemmen der staatlichen Müsammlung zu München
», in München Jahrbuch der Bildenden
Kunst, vol III, Munich, Pastel Verlag, 1957, p. 37-56.
Parce-que le Moyen Age
occidental a longtemps été considéré comme une période « obscure »
peuplée de barbares soit disant incapables de produire un art aussi raffiné
que la glyptique. Consulter : LABARTE (J.), Dissertation
sur l’abandon de la glyptique en occident au Moyen Age et sur l’époque
de la renaissance de cet art, Paris, A. Morel et Cie éditeurs, 1871 ;
LABARTE (J.), Histoire des arts
industriels au Moyen Age et à l’époque de la Renaissance, trois
volumes, t. I : Sculpture, serrurerie, orfèvrerie, Paris, 1872.
Voir notamment CAILLET
(J.-P.), « Le trésor, de l’Antiquité à l’époque romane : bases de
la recherche actuelle et éléments de problématique », in Les
trésors de sanctuaire, de l’Antiquité à l’époque romane, Cahier VII
du Centre de recherches sur l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Age, Université
de Paris X-Nanterre, Picard Diffusion, 1996, p. 5-18 ; RICHE (P.), « Trésors et
collections des laïques carolingiens », Cahiers
archéologiques, fin de l’Antiquité et Moyen Age, n° XXII, 1972, p.
39-46 ; TARALON (J.), Les trésors des
églises de France, Bobigny, Hachette, 1966.
Voir notamment HOLMES (U.T.),
« Mediareview gems stones », Speculum, vol. 9, n° 2, 1934, p. 195-204.
Selon Genevra Kornbluth,
la glyptique carolingienne est typiquement occidentale et il n’y aurait
pas eu de continuité avec la glyptique romaine -
qui a cependant survécue à Constantinople. Ainsi, bon nombre d’outils
alors employés furent-ils empruntés à d’autres techniques artistiques,
telles que la numismatique. Cf.
KORNBLUTH (G.), op. cit., p. 12-15.
GRASSIN (G.), « Le
traitement des gemmes dans la Doctrina
Poliendi pretiosos lapides, XIIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, juin 1999 et KORNBLUTH (G.),
op. cit. Voir également
NATTER (J.L.), Traité de la méthode
antique de graver en pierres fines comparée avec la méthode moderne et
expliquée en diverses planches, Londres, Imprimerie de J. Haberkorn et
Comp., 1754.
A propos de l’artisanat
de la glyptique au Moyen Age, voir notamment BABELON (E.), Histoire
de la gravure sur gemmes en France depuis les origines jusqu'à l’époque
contemporaine, Paris, Société de propagation des livres d’art, 1902
; BOILEAU (E.), Les corporations et métiers de la ville de Paris, XIIIe siècle
; réédition du « Livre des métiers », Paris, Imprimeries
nationales, 1879 ; FAGNIER (G.), Etudes
sur l’industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et
au XIVe siècles, Paris, F. Vieweg librairie-éditeur, 1877 ;
FRANKLIN (A.), Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercées dans
Paris depuis le XIIIe siècle, New York, Burt Franklin, 1968
; GABORIT-CHOPIN (D.), « Les trésors de Neustrie du VIIe au IXe
siècle d’après les sources écrites : orfèvrerie et sculpture sur
ivoire », in La Neustrie, Les pays au
Nord de la Loire de 650 à 850, colloque historique et international,
Singmaringen, Jan Thorbecke Verlag, 1989 ; KORNBLUTH (G.), op.
cit., p. 16 ; LESPINASSE (R. de), Métiers
et corporations de la ville de Paris, XIVe-XVIIIe siècle,
t. II, Paris, Imprimeries nationales, 1882 (?).
GUIRAUD (H.), « Intailles
et camées de l’époque romaine en Gaule », supplément
à Gallia, n° 48, 1988, p. 29-31.
A propos de la récurrence
des thèmes antiques, voir GUIRAUD (H.), op. cit.
Voir notamment CABROL
(F.), Dictionnaire d’archéologie
chrétienne et de liturgie, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1924,
col. 2296.
En outre, tel Jules
Labarte, les détracteurs de la glyptique médiévale occidentale
s’appuient sur une démonstration douteuse puisqu’ils comparent ce
qu’il reste des témoignages médiévaux (quelques rares matrices et des
cachets en cire hypothétiquement réalisés par des pierres gravées) aux
œuvres glyptiques antiques et byzantines sans tenir compte des différences
de culture qui éloignent ces civilisations distinctes.
Sauf lorsqu’il s’agit
d’une pierre de remploi exceptionnelle, c’est-à-dire lorsque celle-ci
illustre soit un empereur romain ou un membre de sa famille soit une scène
historiée se déroulant sur un grand format, et outrepasse ainsi le
registre thématique habituel en Gaule à l’époque romaine d’où sont
certainement issue la plupart des œuvres glyptiques remployées au Moyen
Age.
C’est d’ailleurs à
cette époque que les corporations perdirent le monopole de la réalisation
des intailles et des camées et que certains glypticiens se firent artistes
indépendants.
|
Introduction
Le mot « glyptique », qui provient du grec Glyptikos,
désigne tout ce qui a trait à la gravure, quel que soit le matériau et les
techniques employés dans ce but. De ce mot sont dérivés les termes « diaglyptique »
et « anaglyptique » qui différenciaient à l’époque la gravure
en creux de celle en relief – que l’on qualifierait actuellement de
sculpture – et auxquels on peut rattacher les noms plus récents d’« intaille »
et de « camée ». De nos jours, la glyptique est comprise comme un
art spécifiquement relatif au travail des pierres fines et c’est en tant que
tel qu’il est traité ici.
En Europe, la glyptique existe depuis le Périgordien
supérieur mais l’invention des intailles proprement dites est moyen-orientale
et date du VIe millénaire av. J.-C. tandis que celle des camées est grecque
hellénistique. Ce sont les Romains qui introduisirent au Ier siècle av. J.-C.
en Europe occidentale l’une et l’autre pierres gravées.
Adoptée par les barbares mérovingiens et leurs successeurs, la glyptique
s’implanta dans le Nord-Est de la Gaule carolingienne puis dans le bassin
parisien, toujours à proximité des hauts lieux de la souveraineté.
D’abord essentiellement présente sous forme de remploi elle se développa peu
à peu en tant qu’art original.
Les sources d’étude permettant d’aborder le
sujet sont de plusieurs ordres : archéologiques, historiques, bibliographiques
et iconographiques. L’analyse des objets eux-mêmes en a en outre complété
bien des aspects. Bien que peu abondantes, elles prouvent contre tout préjugé
l’existence d’un intérêt pour la glyptique en France au Moyen Age et
attestent une fabrication médiévale locale. La question est désormais de
savoir pourquoi et de quelle façon cet art fut apprécié et exercé dans un
milieu totalement différent de l’univers méditerranéen duquel il provient.
I. Contexte archéologique et
historique
Un aperçu de ce milieu est rendu par le biais de
l’archéologie ainsi que par celui des sources écrites de l’époque.
1- Les découvertes archéologiques
Les contextes archéologiques médiévaux dans
lesquels on trouve des pierres gravées, intailles ou camées, sont
essentiellement funéraires et mérovingiens. Ceci s’explique par le fait que
les inhumations d’alors étaient « habillées » et donc plus
propices que d’autres à la découverte d’objets, surtout quand ceux-ci étaient
subordonnés au caractère social de la personne enterrée. Cette pratique
touchait en outre une grande partie de la société, n’excluant pas les
classes les plus pauvres et c’est ce dernier point qui permet de mettre en évidence
la relation entre œuvres glyptiques et aristocratie car les sépultures qui en
possèdent comptent parmi les plus riches au sein de leur nécropole. Les
pierres gravées recensées dans de tels contextes sont généralement des
pierres d’époque antique. Elles sont surtout remployées comme ornement de la
parure des deux sexes, d’âge relativement adulte, plus rarement laissées
comme dépôt près du mort et encore moins souvent contenues dans leurs aumônières.
La datation de ces sépultures apprend que la mode des pierres gravées s’est
répandue vers le nord-est d’une part et le sud-est d’autre part à partir
d’une ligne médiane traversant la France depuis la Picardie jusqu’en
Italie. Les contextes d’habitat (structures et dépotoirs) sont très peu
nombreux et se situent chronologiquement aux antipodes de l’ère médiévale
mais, quoi qu’il en soit, la présence d’intailles ou de camées dans de
tels sites est représentative d’une perte ou bien d’un abandon occasionné
par un événement perturbateur (incendie par exemple) et donc vraisemblablement
involontaire.
2- Les collections médiévales
Les inventaires complètent ces données archéologiques
en ce qui concerne le Moyen Age Classique et le Bas Moyen Age durant lesquels la
pratique d’inventorier qui existait déjà au Haut Moyen Age (Conques,
Aix-la-Chapelle par exemple) se fit plus courante, notamment dans le secteur laïque. Trésor d’église et trésor
royal ou seigneurial, les objets passaient parfois de l’un à l’autre et il
est souvent difficile de les suivre à la trace. Les définitions sont généralement
insuffisantes et portent à confusion car les termes désignant les pierres gravées
n’étaient à l’époque pas encore bien définis. On arrive cependant
quelquefois à reconnaître, parmi les descriptions retranscrites, une pierre
illustrant un thème mythologique et grâce à cela à la qualifier de remploi
– ce qui ne signifie pas qu’à l’inverse les sujets dits chrétiens le
sont effectivement car bon nombre de sujets païens de l’Antiquité ont été
ré- ou mal interprétés au Moyen Age.
En résumé, les pierres gravées ont traversé l’ère
médiévale en semblant demeurer comme auparavant un objet de luxe auquel on
prenait grand soin et qui était exclusivement réservé à la Noblesse et au
Clergé. Si l’adoption de la glyptique par une autre culture que celle de
laquelle elle était originaire fut possible cela est donc du au fait que la
structure hiérarchique de la société d’accueil le permettait. Or qui dit
luxe dit également valeur pécuniaire. Celle-ci incombe au matériau de base
utilisé pour façonner les intailles et les camées : les pierres fines.
II. Les matériaux et leur provenance
Le succès irrévocable des gemmes est d’ailleurs
planétaire. L’attirance qu’elles exercent par leur beauté, par leur rareté
et par leur durabilité a conduit les Hommes à les rechercher avec ferveur et
à les mettre en valeur pour se faire eux-mêmes valoir.
1- Nature et origine des gemmes
Leur présence dans une région dépend de nombreux
facteurs géomorphiques. Les gemmes les plus facilement exploitables sont celles
qui se trouvent dans les roches sédimentaires où elles sont à la fois plus
accessibles et en quantité plus grande que dans les roches où elles naissent.
Il existe en Asie des sites d’exploitation sur lesquels les techniques séculaires
d’extraction sont encore employées et qui donnent une idée précise de la façon
dont les pierres précieuses et fines étaient récoltées bien avant le Moyen
Age. L’Asie est en effet avec le Moyen Orient une région du globe
naturellement très riche en minéraux divers souvent précieux. Le commerce très
actif qui relie depuis l’époque romaine ces contrées lointaines à l’Occident
par le biais des fameuses « routes de la soie » a longtemps permis
d’acheminer jusqu’en France les gemmes orientales et ce même en période de
conflit. De toute façon, en Europe au Moyen Age, les trésors regorgeaient de
gemmes et les pierres fines d’origine locales étaient diverses et nombreuses
(saphir, améthyste, cristal de roche, jais, grenat almandin, etc.) mais
apparemment moins appréciées.
Il est vrai que la distance accroît la difficulté d’importer et octroie donc
plus de préciosité à la pierre.
2- Les gemmes dans la glyptique médiévale française
On note un autre facteur de préférence qui est
quant à lui relatif aux propriétés optiques des gemmes dont la couleur et la
transparence sont les élégances les plus remarquées puisque ces critères
esthétiques sont repris dans les imitations en pâte de verre. En général, au
Moyen Age, les pierres opaques (famille des calcédoines, jais) semblent avoir
été délaissées, sauf lorsqu’elles servaient de support à un camée. Mais
il faut dire que ce genre de matériau était plutôt employé à la réalisation
de vaisselles diverses en raison de son gros volume à l’état naturel,
permettant ainsi dès le XIIIe siècle au matériau qu’est la coquille de
s’y substituer peu à peu. Cette invention n’est sans doute pas sans rapport
avec l’évolution de plus en plus importante des relations commerciales avec
l’Orient d’où cette pratique a pu être importée. Pour les intailles, la
transparence était plus appréciée. De cette façon le cristal de roche, dont
la limpidité a été très en vogue durant toute l’ère médiévale, a-t-il
eu beaucoup de succès à l’époque carolingienne avant de servir lui aussi à
l’élaboration d’objets de taille plus conséquente et éventuellement gravés
(gobelets, calices, reliquaires, monstrances, carafes, etc.). Les corindons
(saphir et rubis), qui sont des pierres plus dures, apparaissent tardivement
dans la glyptique médiévale mais ceci pour des raisons techniques plus que
pour des raisons financières ou commerciales.
La dureté est en effet un autre critère de choix,
non pas en soi mais par le fait que le travail du glypticien est alors rendu
plus long et laborieux, plus coûteux et donc plus cher et valorisant à celui
qui possède un tel joyau.
III. Les techniques et les artisans
Les techniques de la glyptique française médiévale
sont traditionnelles bien qu’il y ait eu rupture à l’époque mérovingienne
pour laquelle n’ont presque pas été retrouvés d’intailles et de camées
nouvellement produits alors que les anciens spécimens, par l’intermédiaire
du remploi, étaient très à la mode. Ce sont les ouvriers carolingiens qui ont
redécouvert les méthodes ancestrales de fabrication des pierres gravées et ce
sans avoir eu recours à leurs congénères byzantins plus expérimentés mais
dont la variété des outils était moindre.
1- Le traitement des gemmes naturelles
Le principe est d’appliquer la pierre sur une
broche elle-même montée sur un axe animé d’un mouvement rotatif : le
touret. Pour donner plus de vigueur à ces broches généralement en métal, et
donc moins résistantes que la plupart des gemmes employées en glyptique, des
poudres abrasives très dures préalablement agglomérées au moyen d’un liant
quelconque y étaient régulièrement déversées pendant l’action et s’y
incrustaient. Ce procédé de débitage de la matière fonctionnait par usure de
la pierre. Quelques textes historiques et études tracéologiques attestent
l’emploi de ce système au Moyen Age.
Les broches utilisées par les artisans médiévaux étaient de plusieurs
sortes, chacune étaient propre à un tracé et pouvaient varier de calibre :
il y avait les roues (roulettes et scie) pour dessiner des traits droits aux
angles éventuellement arrondis (demi-rondes), les bouterolles ou petites boules
pour marquer des trous ronds et les charnières pour inscrire des cercles. La
pointe de diamant, instrument similaire à un stylet au bout duquel serait fixé
un éclat de diamant ou de pierre dure, était connu et servait à tracer les
esquisses et à préciser les détails. De fausses pierres gravées en pâte de
verre, fabriquées selon le principe du moulage, ont été recensées pour l’époque
médiévale. Les pastilles obtenues pouvaient être retouchées avec les outils
décrits précédemment. Une fois achevés, intailles et camées, vrais ou faux,
étaient généralement sertis dans des montures en plein, ou sertis clos. Le
fond de ces montures étaient parfois muni d’une résine renforçant l’adhésivité
de la gemme à son support ou encore agrémentés d’une étoffe ou d’une
teinture destinée à rehausser l’éclat des pierres.
2- Qui œuvre ?
Pendant le Haut Moyen Age et jusqu’aux temps où vécu
le moine Théophile (XIIe siècle), ce sont des orfèvres, dont la plupart
travaillaient pour les monastères, qui ont effectué ces diverses tâches. Dès
le XIIIe siècle, pour des raisons sociales complexes, ces ouvriers
“pluridisciplinaires” ont été remplacés par des ouvriers plus spécialisés
et laïque, réunis en corps de métiers, auxquels on suppose que les techniques
de la glyptique ont été cédées. A Paris, de la communauté initiale des orfevres
furent dissociées celles des cristalliers
maniant les pierres naturelles et des voirriniers
réalisant les pierres fausses. Ces trois communautés jouissaient chacune de
privilèges accordés seulement aux métiers œuvrant pour la Noblesse et le
Clergé.
Aussi, l’idée que les intailles et les camées ont évolué dans un contexte
social aisé est confirmée.
Le comportement imparti aux pierres gravées, inculqué
par les Romains, s’est donc transmis après eux en France avec pour modèle émérite
les nombreuses pierres de remploi directement disponibles dans les trésors ;
mais, bien qu’empreints de cette influence classique, les artisans médiévaux
ont tout de même su faire preuve d’originalité.
IV. Caractère des pierres gravées au Moyen Age
Le caractère des pierres gravées médiévales se révèle
à travers plusieurs de leurs aspects tant concrets qu’abstraits.
1- Etudes typlogiques
Les contours donnés aux gemmes, supports
d’expression glyptique, étaient durant le Moyen Age plus ou moins similaires
à ceux affectés aux intailles et camées antiques
dont le remploi était courant à cette époque. On observe donc beaucoup
d’ovales aux proportions harmonieuses entre la longueur et la largeur, avec
une surface plutôt plane. Les types de formes ne se démarquèrent de ces
conventions que plus tard (à partir du XIIIe siècle) en acquérant une
silhouette plus angulaire sans doute influencée par le style gothique en
vigueur. On remarque cependant qu’à l’époque carolingienne existait déjà
un emploi particulier de cabochons en cristal de roche où le dessin, gravé sur
le revers plan, se regarde au travers. Ce sont en outre les plus grands spécimens
glyptiques observés. La taille moyenne des pierres gravées médiévales est en
effet relativement petite : pas plus de 26,8 mm de longueur pour les intailles
et 32,4 pour les camées, sachant que plus on avance dans le temps, plus les
dimensions se réduisent.
2- Thèmes iconographiques
Les thèmes iconographiques favoris sont relatifs à
la religion chrétienne (53 % des pierres gravées médiévales observées) :
symboles et illustrations de la vie du Christ, de la Vierge Marie et des saints
; or ce sont les sujets mythologiques qui ont eu le plus de succès dans l’Antiquité
et ce parallélisme n’est pas à négliger.
Une autre grande tendance se caractérise par la représentation de personnages
non mis en scène. Leurs attitudes obéissent à des critères de mode différents
selon les époques : position debout ou assise, bustes de face, de profil ou de
trois-quarts, etc. Les personnages sont pour la plupart des hommes, rarement des
femmes et jamais des enfants. Leur allure impériale, souveraine et/ou courtoise
semble traduire la noblesse de leur rang. Les effigies carolingiennes ne sont
pas sans rappeler les portraits romains malgré leur manque d’individualisme.
Certaines figurent peut-être des ecclésiastiques. Quant aux sujets profanes,
les témoignages sont moindres mais il existe des exemples d’animaux, réels
ou fantastiques, de monogrammes et de scènes diverses (comme une scène de
chasse par exemple), isolés ou combinés, qui s’expriment toujours comme dans
l’Antiquité dans un genre très basique et souvent proche du registre emblématique.
3- Utilisation
La fonction des intailles et des camées est avant
tout ornementale. Au Moyen Age, ils décorent pièces d’orfèvrerie, bijoux, vêtements
et autres objets luxueux et proclament ainsi la richesse de leurs possesseurs :
seigneurs, prêtres ou communautés. La présence de pierres gravées dans les
trésors religieux et leur utilisation pendant les offices
laisse supposer une certaine valeur mystique des pierres. La majorité d’entre
elle est d’ailleurs gravée de sujets chrétiens même si beaucoup de pierres
antiques aux thèmes apparemment décalés sont remployées dans les églises.
Les superstitions séculaires liées aux pierres fines et précieuses ne sont
sans doute pas étrangères à ce dernier phénomène. En acceptant ces
superstitions et en les assimilant au culte chrétien il est alors plus facile
de les contrôler et de remployer en toute légalité un matériau païen mais
onéreux. Les pierres gravées, les intailles surtout, ont également remplit un
rôle plus pratique véhiculé jusqu’en Gaule en même temps que la glyptique
: la sigillographie. Apposer son sceau à un acte pour le légitimer est un des
arguments les plus concluants permettant de dire que la glyptique a tenu au
Moyen Age un rôle important d’indicateur de statut social et d’un statut élevé
en l’occurrence. Le remploi d’intailles antiques est encore une fois observé
dans ce domaine. Les sceaux réalisés avec de telles matrices sont d’ailleurs
facilement reconnaissables à leurs sujets iconographiques anachroniques. Le
fait que les pierres de remploi étaient encadrées dans des rubans métalliques
incisés de légendes fut longtemps un argument en défaveur des artisans médiévaux
souvent dits – à tort – inaptes à graver eux-mêmes les pierres fines et
à y insérer des inscriptions, or il est évident aujourd’hui que rien
n’est plus faux car même les pierres assurément médiévales sont serties de
cette manière.
Il ne s’agit donc pas d’une incompétence mais d’un choix délibéré.
Indirectement, par la typologie des formes, la
proportion des thèmes illustrés et la similarité des fonctions dévolues aux
œuvres glyptiques, il est évident que les artisans français ont hérité des
conventions romaines dans le domaine de la glyptique. Cependant, hors de ces
modalités se distinguent un style, des modes et des sentiments typiquement médiévaux
et il est intéressant de constater que dans la composition des œuvres gemmées
comportant à la fois des pierres gravées antiques et médiévales ce sont les
pierres gravées médiévales qui sont le plus souvent mises en valeur.
Conclusion
Malgré son manque certain de témoignages par
rapport à d’autres époques et autres aires géographiques, la glyptique française
du Moyen Age peut être définie comme la continuation plus ou moins chaotique
d’une glyptique gallo-romaine qui n’aurait pas vraiment trouvé ces maîtres
d’œuvre avant l’époque carolingienne. Ceci indiquerait pourquoi le
remploi, devenu coutumier, s’est préservé alors que se formait et
grandissait un art local motivé par les conceptions religieuses, politiques et
artistiques des souverains carolingiens dont la plus grande source
d’inspiration était la restauration de l’Empire romain. Aussi,
l’implantation progressive de la glyptique en Europe occidentale a-t-elle
abouti à la fixation et au développement de cet art en France.
Comme toute pratique importée, certains aspects
techniques, stylistiques ou fonctionnels de cet artisanat ont perduré tandis
que de nouveaux s’y sont soit greffés soit substitués. Quoi qu’il en fût,
les intailles et les camées demeurèrent aux sommets de la hiérarchie tant
sociale, morale que spirituelle. Leur prestige a deux causes, l’une matérielle
et l’autre symbolique, mais étroitement unies l’une et l’autre. La première
est générée par la rareté, la beauté, la durabilité, et la difficulté de
travailler le matériau. La seconde résulte de la relation qui fait des pierres
gravées un intermédiaire entre pouvoir absolu, souvent divin, et représentants
légaux de ce pouvoir sur terre. Ce principe, extrêmement respecté dès l’époque
mérovingienne, s’est maintenu jusqu’à la fin du Moyen Age durant laquelle
la glyptique a commencé à atteindre une clientèle bourgeoise parvenue et
fortunée.
Cependant ces considérations valorisantes sont en
contradiction avec le petit nombre de spécimens médiévaux connus – mais néanmoins
plus important qu’auparavant – transmis par le biais des trésors ecclésiastiques,
laïques, archéologiques et muséographiques. Ce paradoxe, pour lequel n’ont
été fournies que des explications hypothétiques (destruction des cachets par
exemple), ne pourra être justifié que lorsque le corpus des objets étudiés
aura été complété et approfondi. Pour cela, de nouvelles découvertes
bibliographiques et archéologiques sont espérées, notamment en ce qui
concerne les périodes mérovingienne et médiévale classique. De manière à
certifier les provenances et les datations des intailles et des camées catalogués,
un examen physico-chimique des gemmes et une étude stylistique des gravures
sont à envisager. En outre une analyse des marques laissées par les outils et
les poudres abrasives sur les pierres serait très fructueuse. Une méthode
tracéologique,
basée sur l’expérimentation, a été développée par L. Gorelick et A.J.
Gwinett, deux chercheurs américains, et il ne serait pas inintéressant de
l’appliquer en France.
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