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Définition
Les peignes en buis de style « gothique tardif » ont remplacé progressivement d’autres peignes de luxe, en ivoire et plus coûteux à produire. La matière, bois blond naturel, il convient de part sa dureté à ce travail de sculpture microscopique. De forme rectangulaire en H large, ils possèdent toujours une paire de dentures opposées et de largeur différente. La partie qui possède les dents les plus épaisses est appelée : démêloir. Sa fonction essentielle est d’enlever les plus gros nœuds de la chevelure. Tandis que la partie du lissoir, qui comprend les dents les plus fines et les plus serrées, apporte le lustre et l’effet soyeux après un démêlage soigné. De plus, elle débarrasse des parasites comme le crient les colporteurs en 1545. Néanmoins, des peignes plus communs étaient sans doute préférés. De grandes dimensions (en moyenne sur un échantillon de 13 peignes du MMA : 16.5 x 14.3 x 1.06 cm), ils se divisent en cinq espaces principaux : un bandeau central et quatre montants verticaux. L’ensemble est sculpté à jour de différents motifs récurrents: rosaces, losanges, trèfles, marguerites etc. Sur peu de modèles, des éléments de marqueterie sont ajoutés, posés sur des tissus colorés. Parfois pivotants, ils peuvent également recevoir dans de petites logettes, cachés par des tirettes, des miroirs en étain Fig.1.
Fig.1 : Peigne provenant de la collection du musée du Musée du Moyen Age Thermes de Cluny, Paris.
La technique
La même technique de sculpture «à jour» est employée pour une grande série de peignes en buis retrouvés dans plusieurs musés européens dont le Kaiser Museum de Berlin et au musée des arts décoratifs de Budapest. Il s’agit donc d’une industrie plutôt que d’un artisanat, particulièrement prospère entre la fin du XIVe siècle et le XVIIe siècle d’après E. Molinier. Des motifs d’arcatures gothiques, de rosaces et d’étoiles sont systématiquement employés, comme pour les insérer dans un ensemble de meubles appartenant à la même maison aristocratique. Repris sur des coffrets, des étuis à livre et d’autres objets de rangement[1], ces ornements s’accompagnent généralement d’une inscription galante ou d’un rébus central gravés en bas-relief. Certains exemplaires, reçoivent les insignes de leur propriétaire : armoiries, écu ou initiale gravés dans le bois et ajoutés sur une plaque d’étain cloutée au centre. La personnalisation de ces objets est peut-être postérieure au travail du bois en lui-même, ce qui confirme leur production en grand nombre dès la fin du XIVe s. et l’apogée de leur diffusion au XVIe siècle.
Centres de production
Si l’origine de la fabrication de ces peignes est incertaine, on peut néanmoins, grâce aux nombreuses inscriptions françaises écrites en lettres gothiques qu’ils comportent, les localiser dans un secteur géographique francophone : Nord de la France, Pays-Bas, et Flandres. Au vue des persistances d’ornementation que nous qualifions de « gothique flamboyant » sur ces objets comme sur d’autres petits meubles d’apparat, il est probable qu’il s’agisse d’une industrie prospère pendant au moins deux siècles : du XVe au XVIIe siècle. D’après les notes d’André Kannengiesser[2], la culture du buis est essentiellement méridionale car les peigniers toulousains se procuraient des fuseaux, billes ou planchettes de buis en Comminges au XIVe s. Ces planches étaient acheminées vers la Normandie par voie d’eau et étaient rapidement façonnées après l’abattage afin que le bois reste tendre. Si l’on en croit Victor Gay[3], cette essence croît également en Picardie mais c’est à Rouen et à Paris qu’elle est travaillée car les statuts des peigniers-tabletiers y sont établis dès 1398. La vente des articles était réalisée dans les grandes foires régionales. Ils étaient également exportés aux pays limitrophes comme l’Allemagne, réputée pour son travail du bois.
La suspension
Conçus pour être transportés dans des étuis de cuir et/ou des coffrets, ils peuvent être également suspendus par un anneau vissé sur un de leurs côtés. Ils viennent ainsi naturellement se suspendre au côté du miroir au dessus d’une « coiffeuse » (coffret recouvert d’onguents, parfums, bijoux et tout le nécessaire de toilette d’une dame) ou près de son lit Fig.3accrochés dans une coda en crin de cheval[4]. Cependant, les sources iconographiques présentent le plus souvent des peignes doubles en ivoire. Les peignes en buis de ce type sont parvenus dans les collections privées et muséales en très bon état de conservation pour la plupart. On peut donc en déduire de part leur faible ergonomie et l’absence de traces d’usure, qu’il s’agit essentiellement d’objets d’apparat.
Fig.3: Dame se coiffant dans sa chambre devant un miroir suspendu, Chantilly, Musée Condé, Ms 1475, fol. 6r°
Décor et inscriptions
C’est sur le bandeau central (ou champ) que se développent principalement la narration, le message, l’insigne et les identités du messager et/ou destinataire. Il est opulent puisque les dents de garde sont suffisamment larges pour être découpées à jour des motifs « gothiquisants ». Plus larges, plus épais, plus décorés, ils sont surtout davantage personnalisés. Les artisans-peigniers ont puisé leur inspiration dans la littérature courtoise du XIIe s. et tout particulièrement dans le Roman de la Rose Fig.4., popularisé et traduit dans plusieurs pays pendant plus de trois siècles. Les motifs de fleurs (rosaces ajourées et marguerite stylisée à coté du cœur fléché) ne sont pas sans rappeler, le bouton de rose du roman vers lequel le visiteur du jardin est irrésistiblement attiré[5]. Dans le texte original écrit par Guillaume de Lorris (1230-1245) et Jean de Meun qui en prit la suite (1270-1285), cinq flèches lancées par Cupidon pénètrent par les yeux et atteignent le cœur. C’est en partie pour cela que des petits miroirs en étain « qui mettent sur le chemin de l’amour », sont ajoutés sur certains modèles raffinés. Répondant aussi à la mode italienne des onguents, des parfums et du maquillage, ils forment de véritables couteaux-suisses.
Fig.4. : Roman de la Rose, vers 1350, ms M.324 F.5V, Pierpont Morgan Library, NY
Ces mêmes devises galantes se retrouvent sur des valves de miroirs, des boîtes de courriers, des coussins en soie, des bijoux et accessoires de vêtements. Ainsi, à l’intérieur d’anneaux offerts par Jehan de Sainté [6] aux dames de la cour, se trouve cette gravure: « Souviègne vous de moy ». Des fermaux ou des agrafes pouvaient recevoir le même type de citations: «A vous à qui je donne de bon cœur» ou «je suis donné par amoureux». Véritable résurgence de l’idéal chevaleresque, ces objets utilisent également les jeux de mots en vogue à la cour comme les rébus. Le mot « amour » est remplacé par un cœur Fig.5 comme nous le ferions dans notre langage moderne de la téléphonie mobile (SMS). Conçu pour être un code déchiffré entre gens lettrés, ce langage amoureux trouve sa place sur des objets de parure et de séduction de la grande aristocratie. Messager de l’Amour – non conjugal encore ou contrarié – le peigne implore le souvenir et déclare le désir.
Fig.5 détail d’un peigne de la collection du musée du MMA.
Fonctions des peignes d’apparat en buis
Symbole d’un statut social
Objet de luxe, personnalisé aux armoiries ou au nom du destinataire, il s’adresse à une catégorie de personnes aisées, lettrées qui affectionnent la littérature romanesque. Peu employé mais conservé avec précaution, ce type d’ustensile a perdu son usage premier vers le XVIIe s., date où les trousseaux de mariage incluaient déjà ces objets de toilette. Cadeaux d’estime ou cadeaux de mariage, leur fonction reste encore à élucider. La présence de blasons ou d'initiales («M » pour Marguerite de Flandres) permet d’associer certains de ces objets de luxe à des personnages historiques. En dehors de tous soucis d’authenticité, c’est généralement grâce à ces noms prestigieux qu’ils sont parvenus jusqu'à nous.
Cadeau de l’Amour
Tous ces petits cadeaux qui servent à parer le corps ou qui peuvent rappeler le souvenir de l’amant, sont très en vogue dans les cours françaises dés le XIVe siècle. Le peigne offert est le messager du désir. Il consacre un sentiment avant une transaction plus formelle[7], celle des fiançailles dans la tradition des Minneskätschen. Les hommes pouvaient également recevoir ces témoignages d’affection bien que les femmes portent un soin plus privilégié à leurs cheveux. Tout particulièrement au XVIe s., ils se devaient d’être longs, bouclés ou nattés et surtout très blonds. Le choix d’une essence comme le buis permettait d’obtenir le beau blond des vénitiennes et des héroïnes des romans courtois. Libérée en partie des contraintes morales sur les manifestations érotiques et accordant à la femme une place idéalisée (développement du culte marial depuis le XIIe s.), l’aristocratie rencontre enfin le concept du Désir. Le décor d’un coffret du XIVe s. conservé au Metropolitan Museum of New York illustre parfaitement ce contexte de l’offrande : tandis que l’amant offre son cœur et sa ceinture, sa belle lui peigne les cheveux Fig.6 . Fig.6 Amants autour de la serrure du cœur. Couvercle d’un coffret en bois et cuir, Flandres, vers 1400 (MMA, NY) Essai de datation Il est difficile de déterminer avec précision la période d’utilisation juste pour ce type particulier de peignes. Si le XVe et le XVIe siècles en sont particulièrement riches, il n’est pas impossible que, comme pour la littérature médiévale, les artisans modernes eussent recréés ces ustensiles à une plus grande échelle pour nourrir un marché de l’art avide. Nous retrouvons d’ailleurs en salle de vente (ancienne collection Bela Hein) ou chez des antiquaires du Louvre des objets de ce genre. D’ailleurs, beaucoup de musées ont préféré garder ces objets (Musée de Sens). L’ornementation ne permet pas d’en préciser davantage la période de fabrication exacte. C’est pourquoi nous avons choisi d’en présenter quelques uns hors corpus. Faux ou copies, ils participent à la compréhension globale de cet objet dont les codes de lecture ont disparu aujourd’hui.
Remarques
D’autre part, la quasi absence de découvertes en fouilles de ces objets rend notre corpus incomplet. Les deux exemplaires écossais et londonien attestent néanmoins de leur présence au XVe s au côté de peignes plus modestes en buis et sans décor, plus souvent trouvés lors de fouilles de sites urbains. Le peigne Fig.7 a) appartient à un ensemble de 32 peignes en buis découverts dans la Tamise à Londres entre 1972 et 1983. Ils appartiennent à des couches archéologiques allant du XIIe au XVe siècles. D’après Egan-Pritchard[8], la production de peignes en buis a complètement supplanté la production locale de peignes composites en bois de cerf, corne e os à Londres à partir du XIIe siècle. La devise reconstituée ainsi par l’auteur : « nu si byen » se retrouve également dans les cadeaux d’amour comme les anneaux et les cadenas[9]. Cette découverte reste exceptionnelle car le peigne conserve également des restes de polychromie. Les lettres sont peintes en noire et le fond martelé à la gouge est coloré en jaune. Or, d’après les statuts des peigniers-tabletiers, la teinture était prohibée de peur qu’elle ne déteigne sur les cheveux et deviennent toxiques. En effet, le jaune était obtenu à partir d’orpiment. Fig.7 a) peigne anglais peint et portant une devise galante, début XVe s./ b) peigne écossais
Signalons, à titre de comparaison la très belle collection de peignes en buis de Saint-Denis datant du XIVe-XVe siècles et plus particulièrement ceux qui présentent un décor ajouré. Ils pourraient s’apparenter aux nôtres bien que des peignes en matériau composite utilisent ce même procédé. Cette technique plus ancienne (exemplaires mérovingiens mais aussi scandinaves) permet de superposer plusieurs plaques d’os ou de corne ou de bois de cervidés afin de faire ressortir une plaque métallique sous-jacente. Elle est aussi utilisée dans les arts religieux (plaques de livres).
Conclusion
Si ce type de peignes ouvragés en buis n’est pas représenté dans les sources iconographiques consultées, il est recensé dans les inventaires dijonnais et décrit comme étant des objets en" bois doré" ou "de bois lettrés"[10]. Les merciers vendent plutôt des peignes « ouvrés » et en ivoire[11]. L’inventaire des biens du Duc de Lorraine (1544) dénombre « Huit pignes tant d’yvoire que de boys et deux d’yvoire, qui se mettent en pièces». Le peigne n’est pas seulement un indicateur de mode et d’hygiène. C’est aussi et surtout, un instrument de projection des pensées médiévales.
La maîtrise est en cours de refonte totale, patience! [1] SAUZAY A., Notice de bois sculptés et terres cuites, Paris, 1864 [2] KANNENGIESSER A., Histoire du peigne. Notes, souvenirs, extraits d’archives, éd. Les amis du musée du peigne d’Ezy-sur-Eure, 1991. [3] GAY V., Tome I, p 235 [4] Estampe du Songe de Poliphile de Francesco Colonna. [5] STANESCO M., Lire le Moyen Âge, Dunod, 1998. [6] ENLART (C), Manuel d’archéologie française, 1902 (1924), Tome 2, p 425. [7] Le poète Eustache Deschamps recense l’inventaire de la commande passée par la jeune épouse à son mari « Pigne, tressoir semblablement, et miroir pour moy donner » ; [8] Egan Pritchard, Dress Accessories, p 375 [9] CAMILLE M., L’art de l’Amour au Moyen Âge. Objets et sujets du désir, Könemann, 2000, pages 103 et 114. [10] Alexandre-Bidon D., Piponnier F., « Les soins de beauté du Moyen Âge au début des temps modernes », actes du IIIe colloque international, Grasse, 26-28 avril 1985, éd. Centre d’études médiévales. [11] La boutique du barbier représentée contient plusieurs peignes en ivoire ou bois blancs suspendus. Amiot P., Histoire de la coiffure, p.79 |