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 Les peignes en ivoire occidentaux

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]Testament du comte Everard (837):"Nous donnons pour ornement de notre chapelle un ciboire avec une croix en or...; un peigne orné d'or" (Cf.tableau des citations latines).

[2] Le peigne de saint Gauzelin (Nancy) a été retrouvé dans un morceau de soie dans l’ancienne châsse de saint Sigisbert, selon (BRETAGNE, 1861, p.273 à 281).

[3] L’arbre représenté présente des similitudes avec  l’arbre de Jessé (arbre de vie) et l’arbre sacré des Perses (ou «haoma»assyrien). Figuré sur les ivoires gothiques, il est à rattacher au monde cistercien selon GABORIT-CHOPIN, 1978, p132. Il disparaît à la Renaissance.

[4] Par exemple, la chape de Saint Mexme (Musée de Chinon), datée du Xe siècle, est brodée de guépards affrontés séparés par une palmette dans: Grouard de Tocqueville (Aude), Val-de-Loire.Touraine, p 77. De même, le suaire de saint Victor  (XIIe) montre le saint au milieu de deux lions debout dans: Mâle (E), L’art religieux., p 45, fig.205.

[5]  FLEURY, 1889, PL DCLXXII, p 167 à 173.

[6] Selon MALE ,1966, p 211 :il s’agit peut-être  de la  Résurrection  de saint Austremoine, autre apôtre de l’ Auvergne  dont l’église de Moza(c)t (Puy-de-dôme) possède les reliques.

[7] COLARDELLE (R. et M.), 1993, p50.

[8] Saint Pierre , symbole de Rome et du pouvoir papal, est représenté au XIIIe s. trônant, vêtu comme un évêque ou un pape  (THIBAUD,1994).

[9] En capitale du XIVe s. (BRETAGNE , 1861, p    ).

[10] MOLINIER, op. cit, p.

[11]Saint Calmin fonda  vers 680, trois monastères: Calminiacum (Le Monastier aujourd'hui) en Velay, Tulles dans le Limousin et Mozac en Auvergne (MALE, 1966, p204).

[12] MADIER, 1988, p  .

[14] Cf. note    . Cette chape appartenant au musée de Chinon n’a pas d’origine connue.

[15] D’après  R.CHALON ,  p 153 : Le peigne disparu fut aperçu par des bénédictins: Martenne et Durand  au XVIIIe s.

[16]  «Unum peigne ed peignandum episcopan» ( Inventaire de Chartres, 1327).

[17]   «...dunde cum pectine mundantur et componuntur capilli» (Chalon , (1869), p   ).

[18] Un hebdomadier est un religieux chargé d’une tâche donnée pendant une semaine

[19] Dans l’inventaire de Bayeux (FLEURY, 1889), il est fait mention d’un peigne attaché au pupitre par une chaîne en argent utilisé par le prêtre avant ou après s’être habillé.

[20] BRETAGNE ,1861, p275

[21]  Traduction de KOECHLIN ,1924, p425.

[22] «Duos pectines eburnei cum quibus dominus abbas et ebdomadarius se  pectunt».

[23]  Selon la description faite dans le Liber Confraternum de saint-Gall en 908 (dont je n’ai pas retrouvé la trace!), un évêque pénètre dans un chauffoir où sont suspendus à des chaînes des peignes en ivoire ( D.A.C.L,  Tome XIII, p2933).

[24] TRICHET,1990, p 102.

[25] TRICHET, op.cit,  p 119.

[26] Les crieries de Paris du XIIIe s.: «Je sers des pignes à resoier » selon Guillaume de villeneuve, (FRANKLIN, 1987, p   ).

[27] VIOLLET-LE-DUC (E.-E.), Encylopédie médiévale, Tome II, 1996.

[28]BOCK (1862)

[29]LASKO (1994)

[30] Selon Laporte (J.-P), les gants, les chaussures et les chaussettes de l’évêque de Saint-Germain de Paris ont été ainsi conservés.

[31] DACL, p2950,

[32] FLEURY, 1889, p

[33] FLEURY (1889) PL. DCLXXII.: les dessins de Montfaucon (fonds latin 11912, f° 136) rapportent l’existence  de trois autres peignes verticaux, un à décor  ajouré de cerfs, un autre à décor de lions affrontés au recto et au verso, des paons. Sur un autre, deux loups se fuient (Selon Rohault de Fleury «La Messe»,tome VIII, Pl. DCLXXIV et DCLXXV, 1889).

[34] « Un peigne - celui de saint Omer - d’ivoire à l’antique avec le custode ayant une pierre à voir dessus » (GAY, 1928 p218).

[35] Les comptes d’Etienne de La Fontaine comprennent un chapitre intitulé « Pignes pour les dons du Roy» en 1348 et en 1352.( HAVARD, p174)

[36]  MAC GREGOR, 1985, p78.

[37] KOECHLIN, op.cit. p

[38] Monseigneur Fourné fut sacré évêque de la cathédrale de Sens en 1954 grâce au peigne de saint Loup (centre de documentation du musée de Sens).

[39] Il s’agit vraissemblablement du  premier pape allemand, Grégoire V ( 996-999), qui imposa sept ans de pénitence à Robert II le pieux, roi de France, pour avoir épousé sa cousine Berthe (MOURRE Michel, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, 1978, p 2079).

[40] « Missù fuit hoc a Gregorio papa ad Berthà Reginà» in : «English Romanesqua art...» ( 1984), p366.

[41] Selon FEURY (1889), p167 à173.

[42] Cf note 56.

[43] Les mêmes motifs peints sont repris: deux médaillons  occupés par des basilics séparés par un arbre au centre. dans FLEURY, p    .

[44] LASKO (1994),  p17:  «/// VD.VVLT D //////.DEVS.IHC.XPS

[45] EGAN &PRITCHARD, Dress Accessories...,op. cit. p  .

[46]  Valve de miroir en ivoire du XVe siècle présentant la scène de «la Couronne offerte» (AUDIAT ,1961).

[47] ENLART (C), Manuel d’archéologie française,  1924, p 425    .

[48] Plusieurs ateliers d’ivoiriers italiens sont réputés comme Amafi et Salerne au XI siècle (DROUIN, 1998, p30 à32)

[49] Selon LESPINASSE (1789), p671: les peignes en buis n’étaient ni peint ni doré «à cause de l’inconvénient pour les cheveux».

[50] BEIGBEDER, 1959.

[51] Le code de l’ «amour coutois» fut établi à la fin du XIIe s. et au début du XIIIe s. selon Beigdeber p     .

[52] Valve de miroir «la cour du Dieu Amour», XIIIe siècle (dossier de l’art, avril 1998, p54) et coffret de sainte Ursule, XIVe siècle (GABORIT-CHOPIN, p209). Cf PL

[53] KOECHLIN , op.cit, p 431.

[54] A l’intérieur du coffret se trouve une représentation de la Vierge à l’Enfant alors qu’à l’extérieur sont représenté des couples d’amoureux.

[55] HAVARD p174: «Pignes pour les dons du Roy»

[56] HAVARD, p172: cité dans «le miroir du mariage», 1832.

[57]  Les hommes les utilisaient aussi  car l’inventaire des biens du duc de Lorraine fait mention de huit peignes tant en ivoire qu’en buis.( MOLINIER, note 3 et 4 , p.191)

[58]  En 1550, 38 peignes sont en sa  possession.

[59] Gilles Gorrozet, «Blason de la maison»,1550

[60] VAN DER MARLE,  Iconographie de l’art profane, t1 , 1930, p 467.

[61] Dans le folklore allemand, des petits objets en bois étaient offert en gage d’amour (bille-en-cage par exemple).

[62] BRIDGWATER (1992) p146: le coffre de mariage à l’américaine est connu  pour avoir des origines multiples. Ainsi, selon les traditions allemandes, suédoises et suisses, un coffre décoré du nom de l’épouse, de la date du mariage et de symboles, contenant les vêtements et le linge de maison, lui était offert.




1)      Le choix du matériau

 

Fig.1  Richard de Fournival, Bestiaire d’amour, Picardie, début du XIVe siècle, Dijon, BM, ms. 526, f.30r

(in  J. DALURUN, Le Moyen Age en lumière, 2002, p 84).

     Le Moyen Age chrétien est très curieux de l’éléphant, puisqu’il est traditionnellement l’ennemi du dragon et des créatures du diable. Il est représenté dans les enluminures par des imagiers, qui le dotent de grandes oreilles, de défenses recourbées, d’une immense trompe (Fig.1), et parfois, d’une tour ou d’un château fixés sur son dos comme en Orient. Ses défenses, sculptées depuis l’Antiquité, ont la réputation d’éloigner les serpents, de protéger contre la vermine et d’agir comme contre-poison (d’après DROUIN, 1998 p.30 à 32). L’ivoire d’éléphant, plébiscité pour ses propriétés  « magiques »  ne parvient qu’en toute petite quantité en Occident. En effet, les voies d’importation habituelles se sont  à plusieurs reprises interrompues au cours des VIIe, VIIIe et XIIIe siècles. Acheminé d’Asie et d’Afrique orientale, par les voies de la mer rouge, de la Méditerranée puis des ports de l’Atlantique, l’ivoire n’en était que plus rare. L’ivoire de morse, qui ne permet d’extraire que des blocs réduits et au grain moins fin, traditionnellement en usage dans les pays scandinaves, a alors remplacé l’ivoire d’éléphant. A défaut, les artisans carolingiens ont  réemployé certains ivoires chrétiens antiques appartenant aux trésors d’églises (in GRODECKI L. 1947).

 

La dureté  naturelle de l’ivoire en fait une matière apte à la sculpture précise, d’objets liturgiques ou précieux. Au XIe siècle, tout particulièrement, fleurissent des sculptures en ivoire d’autel, de reliquaires, de sceaux liturgiques mais aussi des objets à usage privé comme des coffrets, des miroirs, des manches de couteaux, des pièces de jeux… De nombreux peignes en ivoire, conservés grâce à la dureté du matériau originel mais aussi par la qualité de leur facture sont également parvenus jusqu’à nous.

 

2)      Localisation des ateliers et essai d’identification de l’artisan :

 

      les sources écrites :

On sait peu de chose en réalité sur les artisans qui travaillent l’ ivoire au Moyen-âge car il apparaît que plusieurs corps de métiers  sont autorisés à travailler ce matériau noble.  Au milieu du XIVe, siècle,  les sources écrites, tels que des comptes d’artisans et le Livre des métiers, recensent un grand nombre de « coutelliers, pingniers et tabletiers » à Paris devenu, centre de l’ivoirerie dès le XIe siècle (in GABORIT-CHOPIN p165). Plusieurs ateliers d’ivoiriers ont eu une réputation internationale (comme l’atelier viennois des Embriachi) si bien que leur travail a été classifié en « écoles » par les historiens de l’art. L’ivoire qui transitait d’abord par ports normands, était amené jusqu’à Paris pour y être transformé. Grâce aux comptes et livres de la Taille, il est possible de localiser ces ateliers dans des zones artisanales denses où l’orfèvre, l’imagier (celui qui sculptent les crucifix, taillent les manches de couteaux en ivoire ou en os) le mercier ou le tabletier ( qui fabriquent notamment les jeux d’échecs) cohabitent. C’est sans doute, parce qu’ils dépendent essentiellement , pour leurs commandes, d’une clientèle ecclésiastique et aisée, qu’à Paris, il existe une rue de la Tabletterie. L’exemple de la réalisation d’une trousse de toilette (Fig.2)  permet d’apprécier la difficulté de situer le métier de pignier , plus spécialisé dans la production de peignes au XIIIe siècle.

 

 

Fig.2 : Exemples d’ustensiles de toilette en métal retrouvés en fouilles au XIIIe et XIVe s.

 

Jean le Scelleur, connu à Paris au travers des inventaires des richesses de ses commanditaires, « tailla une image de Notre-Dame d’ivire à tabernacle » pour Mahaut d’Artois en 1325 et lui vendit également des peignes (Fig.3 ), une broche  et un miroir enluminé en 1315, ce qui exclut une spécialisation de son activité (in KOECHLIN, Ivoires). Il est peu probable qu’il confectionnait lui-même tous les objets faisant partie du trousseau  comme les couteaux et les rasoirs.

 

 

 

 

 

Fig.3 : Petits objets en ivoire prestigieux qui pourraient être produits par un même corps de métiers tant la technique est identique.

 

Si l’identité de notre artisan-peignier est difficile à cerner, ses outils le sont encore bien davantage car aucune fouilles à l’heure actuelle n’a pu déterminer la forme de ceux-ci. Comme l’ivoire est un matériau particulièrement dur, on peut supposer qu’il employait le même équipement que les  sculpteurs sur bois, à ceux-ci près, qu’il devait être régulièrement affûté.. Il s’agit probablement d’une scie à dépecer pour débiter les billes d’ivoires, une herminette (Fig.4 ) permettant de trancher des planches régulières d’environ 22 cm de hauteur et 12 cm le largeur (cette information m’a été fournie gracieusement par M. Heckman, un des derniers ivoiriers de France), de gouges, de trépans, de limes, de râpes, de grattoirs, de burins pour sculpter à proprement-dit ainsi qu’une peau de poisson (la squatine) pour polir et lustrer (in GABORIT-CHOPIN, Les ivoires, 1978). Il disposait aussi de peinture à la gouache, dont se servaient également les enlumineurs, car elle tient mieux dans les zones gravées, que l’on retrouve sur certains peignes en ivoire.

 

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Fig.4 :Manuscrit d’Oppiano, Venise (FOSSIER p335) représentant un artisan en train de débiter une défense d’éléphant sur un établi de

bois à l’aide d’une herminette.

 

Les sources iconographiques sont peu nombreuses, voir inexistantes, concernant les outils employés pour le travail de l’ivoire à l’époque médiévale. L’étude d’ateliers modernes, comme celui de M. Heckman (Fig.5),  dont l’activité est amenée à disparaître (l’importation d’ivoire d’éléphant est strictement interdite afin d’en préserver l’espèce), reconstituer la « boîte à outil » de l’artisan.

 

Fig.5 : Atelier parisien de M. Heckman au XXe siècle présentant sur son établi, des limes, les grattoirs et une lampe bleue pour voir en transparence le travail de sculpture. La production de l’atelier se réduit à l’exécution de petits objets religieux modernes, à la restauration d’œuvres chinoises ou indiennes en ivoire végétal  et à la réparation de bijoux anciens.

 

3)      Que nous apprend notre corpus de peignes en ivoire ?

 

          un symbole de pouvoir

L’ivoire est le matériau qui fournit les plus grands peignes monoblocs médiévaux car une défense d’éléphant peut mesurer jusqu’à 2 mètres de longueur et 10 à 25 cm de diamètre. Outre ses grandes dimensions, l’ivoire d’éléphant possède un poli incomparable réclamé par les plus grandes instances religieuses. C’est pourquoi, bon nombre d’ente eux ont été conservés dans des trésors d’églises et ce, malgré qu’il soit sujet aux changements de température ce qui occasionne l’apparition de micro-fissures.

Comme l’ivoire d’éléphant servait aussi bien la liturgie royale (sceptre par exemple) que la liturgie divine (taus d’évêques), il est naturel de retrouvé des peignes à usage liturgique et d’autres à usage profane.

 

      Un objet de valeur

Souvent offerts par de riches mécènes[1] ou commandés auprès d’ivoiriers, les peignes en ivoire étaient sculptés au même titre qu’une partie du mobilier liturgique. La préférence de l’Eglise pour ce matériau est confirmée par le Pontifical du Pape Clément VII ( XVe s.) qui recommande l’usage de peignes en ivoire pour la consécration d’évêques. L’utilisation de ce matériau est donc une marque de prestige. Nous pouvons remarquer que la denture des peignes verticaux est bien conservée de façon générale mais offre pour certains des restaurations ce qui confirme la préciosité du peigne en ivoire liturgique (nous nous entendrons par la suite sur la fonction « liturgique » de celui-ci).  Ainsi dans trois cas particuliers (Fig.6) , deux systèmes de renforcement de la base des dents ont été rajoutés. Le premier système consiste à placer à la base des dents cassées une bague de métal (peignes n°11 et 18) mais dans le deuxième cas, des agrafes sont disposées sur la dent  et sur la partie centrale pour consolider l’ensemble. Ces réfections qui concernent aussi bien sur des peignes à une qu’à deux rangées ( n°13), sont généralement postérieures à la sculpture du peigne. Ainsi,  dans l’exemple du peigne en ivoire à double denture datant du VIIIe siècle, les deux bagues furent posées postérieurement au  XIIIe siècle.

 

 

Fig.6: 1) peigne du musée du Louvre n°11 2) peigne de St Loup n°18

 

Probablement issus d’ateliers d’ivoiriers (comme ceux de Cologne par exemple) particulièrement prospères entre le Xe et le XIe siècle, ces grands peignes destinés aux offices religieux devaient être fabriqués selon des normes strictes.

Tout d’abord, ces peignes sont de grandes tailles pour être vus lors de processions Fig.7:. Ils possèdent le plus souvent deux types de denture : un démêloir toujours disposé dans le partie inférieure  et qui peut compter 13 dents (signification religieuse possible) et un lissoir.  Le sciage de celle-ci est de grande qualité et l’aménagement inter-dentaire en forme d’ « amydales » sur certains exemplaires amplifie le prestige de l’objet.  Conservés dans des boîtes, des châsses[2] ou des reliquaires pour un usage irrégulier, ces peignes font partie aujourd’hui de prestigieuses collections de musées ainsi que de trésors d’églises. Un autre élément permet de les distinguer des peignes profanes réalisées pour une clientèle aisée mais dont les choix iconographiques diffèrent.

 

Fig.7: Bonnet et peigne de St Savin, abbatiale de Saint-Savin.

 

 

 

 

              Quel décor choisir et pour quelle fonction ?

 

Généralement sculptés, les peignes en ivoire dit « liturgiques » peuvent être découpés à jour, peints ou agrémentés d’éléments d’orfèvrerie comme des pierres précieuses ou d’émail  (peigne n°17), ornements comparables à ceux déjà utilisés pour d’autres objets liturgiques  tels que les reliquaires, les calices, les patènes, les châsses et les plaques d’évangéliaires. Le peigne de Saint Gauzelin (n°12) décoré de colombes aux yeux en émail bleu  fait ainsi parti d’un ensemble ( Fig. 8). 

 

 

Fig. 8 : Calice, patêne et peigne du VIIIe-Xe s., dit de Saint-Gauzelin, évêque de Toul en 963 appartenant au trésor de la cathédrale de Nancy.

 

Plusieurs peignes en ivoire ressemblent à des bijoux. Paradoxalement, il n’existe pas de peignes en métal précieux conservés (à moins que l’on prête fois à certaines légendes) alors que l’or est le matériau  le plus approprié pour glorifier Dieu. L’ivoire semble l’avoir remplacé tant pour sa maniabilité que pour sa blancheur symbolique (l’ivoire jaunie néanmoins avec le temps). Si la richesse du décor est un indice de la puissance de  l’ordre auquel les objets  appartiennent, le choix des thèmes décoratifs l’est aussi.

 

Le décor se développe sur les deux faces des peignes sauf lorsque ceux-ci sont découpés à jour. A défaut de représentations de  personnages, ce sont des animaux et des motifs végétaux qui remplissent les zones centrales. L’organisation du décor des peignes verticaux est symétrique. L’espace du bandeau central est divisé artificiellement en deux ou trois parties par l’architecture (arcades)  ou par des motifs végétaux. Le cadre étroit ne permet pas de grands développements. Il adopte une forme en arc-de-cercle, en rectangle et en carré pour les peignes bilatéraux tandis que les peignes unilatéraux optent pour une forme de  lyre ou d’ ogive (Pl. XXVII   ). Les artisans-peigniers se sont inspirés de modèles déjà développés sur les chapiteaux d’églises à partir des enluminures de manuscrits. Entrelacs, vignes, arbre de Jessé, animaux fantastiques, personnages de la mythologie et  signes astrologiques, permettent de renouveler les représentations inspirées de l’Antiquité en particulier les diptyques consulaires byzantins. L’influence des motifs orientaux est indéniable sur l’ivoirerie en général. Par exemple,  les motifs décorant le peigne de saint Loup (Fig. 9) ressemblent à ceux qui ornent le suaire de Saint Loup-Sainte Colombe conservé au musée de Sens, tissu probablement importé d’Orient lors des Croisades. Les animaux affrontés autour d’un arbre[3] est un scène récurrente sur les soieries orientales[4] du Haut Moyen Age qui s’est répandue en Italie du nord, dans la vallée du Rhône comme dans le Bassin Parisien.

 

 

Fig. 9 : Lions affrontés de part et d’autre d’un arbre . Musée de Sens.

 

Le décor de nos peignes sont assortis à certains vêtements  sacerdotaux et leurs accessoires comme les sandales ou les gants pontificaux. Certains dessins de peignes aujourd’hui disparus,[5]le prouve également.

Paradoxalement, seulement  cinq peignes de notre collection sont ornés de scènes religieuses faisant directement référence au Christ (Crucifixion, Christ en gloire, Christ Juge, Résurrection d’un saint[6]). Une seule scène figurative rappelle la légende du héros biblique, Samson, dont la force est contenue dans ses cheveux. Comme la surface allouée au décor est restreinte, les scènes se résument à quelques motifs ornementaux et à de courtes scènes historiées. Les allusions à l’Eucharistie (vigne et calice) comme à la croix sont discrètes. La croix latine pyrogravée sur le peigne en buis (Fig.10)  n’est peut-être pas un symbole chrétien car d’une part, il n’y pas de traces dans l’habitat d’une église ou d’une chapelle et d’autre part, la présence de croix géométriques est aussi attestée  sur des plaques de ceintures[7]. La croix n’est d’ailleurs pas toujours significative d’une fonction religieuse.

 

Fig.10 : peigne en buis, Charavines (Isère)

 

Les artisans médiévaux se sont inspirés des mêmes sources pour décorer les peignes verticaux en ivoire et en buis. Sans doute, par ce que les peignes de buis tentaient de rivaliser avec ceux en ivoire quand le matériau est trop onéreux. Il est difficile cependant de prouver l’existence de peignes liturgiques en bois. Les deux peignes recueillis dans deux collections particulières différentes peuvent être des copies de peignes en ivoire ayant existés ou n’être que des contrefaçons (Fig. 11) . D’autres éléments concernant les inscriptions viendront  appuyer notre scepticisme.

 

 

Fig. 11 : collection particulière d’un peigne en buis comportant une inscription latine consacrée à l’abbaye de Mozat ?

 

Alors que les peignes en buis de Mozac (n°30 et n°31) possèdent tous les deux une inscription latine  sur une de leur face, les peignes en ivoire n’en portent pas systématiquement. En effet, des citations latines en lettres majuscules sont présentes uniquement sur cinq peignes verticaux. Elles identifient soit les personnages représentés soit le propriétaire du peigne. Ainsi, le Christ est désigné sur le peigne n°23    par le tetulus crucis: «HIS NAZAREN REX» et le nom de saint Pierre[8] «+S, CST PETRVS, -R» est inscrit sur la bordure du cadre. Plus directement, une plaque est gravée   au nom de son propriétaire présumé : saint Loup, «PECTEN. S. LVPI »[9].

*Emile Molinier[10] a recensé dans son catalogue de nombreux peignes associés à des noms d’évêques, de saints ou de rois. Il est difficile cependant d’authentifier ces associations puisque les inscriptions ne fournissent pas d’éléments probants quant à leurs utilisateurs. Ainsi, la plaque gravée rajoutée au XIIIe siècle au peigne n°11 le désigne comme appartenant à  saint Loup décédé en 623. Daté du VIIIe siècle, il n’a pu lui appartenir de son vivant.

De nombreux peignes liturgiques constituent vraisemblablement des hommages posthumes aux saints fondateurs d’édifices religieux. Comme preuve de cette pratique, l’inscription commune sculptée sur les deux peignes en buis de saint Calmin:

« SANCTVS CALMINVS CONSTRVXIT TERTIAM ABATIAM MOZIACUM». Elle met bien en évidence le rôle commémoratif en  rappelant la fondation de l’abbaye royale de Mozac (Puy-de-Dôme) par saint Calmin. Bien que le saint auvergnat ait fondé effectivement trois monastères[11] au VIIe siècle, ces deux peignes sont probablement postérieurs. En effet, ce n’est que dans la deuxième moitié du XIIe siècle, que les saints de l’Auvergne furent mis à l’honneur dans les arts précieux comme le montre la grande châsse émaillée conservée à l’abbaye de Mozac[12]. Commandée par l’abbé Pierre III de Marsac au XIIe siècle pour abriter les reliques des saints fondateurs: saint Calmin et Sainte Namadie, représentés sur un des panneaux de la châsse. Une dédicace rappelle la fondation de l’abbaye tout comme l’inscription sculptée sur les deux peignes en buis. Malgré la proximité des trois inscriptions (sur les deux peignes en buis et sur la châsse), les fautes de grammaire et les erreurs de conception permettrent de douter de l’ authenticité des peignes. Ainsi, des erreurs se sont glissées dans la composition du décor (réutilisation des entrelacs au verso du n°30    ) et dans la manière d’orienter la denture (inversée pour le n°31   ). Peut-être s’agit-il de copies d’originaux (en ivoire probablement)  dispersés  en 1791 lors de la vente des biens de l’abbaye soit de faux destinés au marché de l’art ?

    Les peignes en ivoire à une rangée de dents ont également reçu des inscriptions dont le n°19   dont voici le contenu:

 

« QVISQVIS EX ME SVVM PLANAVARIT QVOQ(ue) CAPVT;

IPSE VIVAT FELIX  FELICiTER SEMPER ANNIS L.F(?) »»[13].

Ces voeux offerts à l’utilisateur ressemblent au souhait de «Bonheur à son possesseur» exprimé en arabe sur un galon rajouté au XIIIe siècle sur la chape  de saint Mexme[14], une étoffe orientale datée du Xe siècle.

Le peigne (peut-être celui ayant appartenu à saint Remacle (648-675), abbé fondateur des monastères de Malmédy et de Stavelot)[15], est même signé de deux initiales «L.F». Ce peigne pouvait être un présent , tout comme la chappe de saint Mexme entre hauts dignitaires de l’Eglise.

Les inscriptions sont trop rares pour constituer une base de réflexion. Cependant, comme c’est l’usage sur bon nombre de peignes «profanes», ces inscriptions sont des témoignages  d’affection.

La confrontation des observations précédentes à d’autres types de sources va  permettre reconstituer une partie des fonctions du peigne en usage au Moyen Age.

 

2) Le rôle des peignes verticaux

Les peignes verticaux appartiennent essentiellement à des trésors de cathédrales et d’abbayes (allemandes et belges en particulier). Les quelques exemples de peignes découverts en dehors de ce contexte (funéraire par exemple) possèdent un lien plus ou moins étroit avec un édifice religieux. C’est le cas des peignes ( n°28)  découverts dans les maisons urbaines situées à proximité de la cathédrale Sainte-Gertrude (?) à Sigtuna, siège épiscopal de Suède au XIe siècle. Mais en l’absence d’autres découvertes archéologiques, le recours à des sources écrites diverses comme les conciles pontificaux et les inventaires d’églises est nécessaire.  Deux fonctions principales ont été identifiées pour les peignes en ivoire particulièrement: celle de la consécration des évêques et celle de la purification de l’officiant qui s’apprête à célébrer la Messe.

 Tout d’abord, l’usage d’un peigne en ivoire était recommandé pour la consécration des évêques[16]. Ainsi, lors du Sacre, l’anneau et la crosse du nouvel évêque étaient bénis puis il recevait  l’Evangile et un peigne[17] destiné à entretenir, semble t-il, sa tonsure, coiffure qui confirme son renoncement au monde laïc. La première tonsure était célébrée par l’évêque ou l’abbé d’un monastère pour introduire le nouveau disciple. Ce type de peignes offerts ou commandés spécialement pour le Sacre était conservé parmi les différents objets liturgiques dans la chapelle de l’évêque. Le lieu où le prêtre se revêtait de ses habits de cérémonie sert également à la préparation spirituelle de l’officiant.

 

Ÿ     La deuxième fonction du peigne est indiquée par le Pontifical de Paris: « Episcopus vel sacerdos, missarum solemnia celebraturus...dum se pectinat didat: Intus».

Cette étape purificatrice était exécutée par le diacre ou l’hebdomadier[18], chargés de peigner l’évêque comme le précise le Pontifical de Mende (XIIIe siècle.). Habillé et chaussé de ses chaussures, l’évêque s’asseyait sur son trône dans la chapelle[19] pendant que le diacre le peignait. Ayant au préalable déposé un peignoir[20]  sur ses épaules, le diacre peignait le Pontife en récitant cette prière écrite dans le Missel de Lunden (1514):

                «  Corrige moi Seigneur dans ta grande miséricorde, mais que mes péchés                      n’imprègnent pas ma tête » (1217)[21].

    L’évêque n’était pas le seul à se peigner comme en témoigne l’inventaire de Saint-Martial de Limoges (1217)[22] qui précise que l’abbé et l’hebdomadier se coiffaient avec des peignes également en ivoire[23]. 

      La coiffure différencie mieux les différents rangs hiérarchiques au sein de l’Eglise que les vêtements au Moyen Age. Bien que la tonsure[24] se soit imposée à tous les clercs vers 1031 (concile de Limoges), l’ajout d’une couronne supplémentaire pour les évêques marque davantage leur autorité, comme le signale le Concile de Buda de 1279[25]. Loin des soucis hygiéniques, cette pratique est avant tout un rite d’intégration.

        Les peignes verticaux ici répertoriés n’appartiennent pas aux objets du quotidien. Servant uniquement la liturgie religieuse, ils n’étaient probablement pas employés pour entretenir les tonsures[26](contrairement à la définition donnée par Viollet-le-Duc [27]).

  

     Ainsi, la relation entre accessoires de la liturgie et vêtements sacerdotaux  s’explique mieux. L’analyse du décor a déjà démontré que les motifs employés sur les peignes étaient très proches de ceux  qui ornent  les habits de cérémonie. C’est pourquoi, la découverte d’objets comme des chaussures associées aux peignes (comme c’est le cas des objets de Stavelot) n’est pas surprenante.  Ces objets sont conservés dans le trésor de la cathédrale ou de l’abbaye parmi les reliques auxquelles ils sont souvent associés.

     En effet, les peignes de cette nature sont rarement retrouvés en contexte funéraire sauf dans le cas de trois peignes dont les circonstances de découverte ne sont pas très explicites. Ainsi, selon M.Bock[28], les deux peignes allemands de  Benno(?) et  de saint Ulrich ( prévôt d’Ausbourg et évêque de Passau) furent retrouvés dans les tombes des saints tout comme le peigne anglais de saint Cuthbert [29].  Ce dernier est contemporain de l’ihnumation du saint si l’on en croit M.Lasko car un auteur anonyme le mentionne et le décrit en 687. Cependant, les reliques du saint furent translatées au XIe siècle. Le dépôt d’un peigne à ce moment est probable car cette pratique est courante du XIe au XIIe siècle. Mis à part ces trois exceptions, les objets ayant appartenu aux personnages importants étaient conservés à part[30] ou exhumés par la suite pour constituer de nouvelles reliques. Ainsi, quelques pèlerinages se sont organisés autour de peignes aux vertus miraculeuses.

    

Ÿ Le peigne de saint Gauzelin(n°12) guérissait de la teigne lors d’un pélerinage organisé à l’abbaye de Bouxières-aux-Dames[31] (près de Nancy). De même, à l’abbaye de Beaulieu en Corrèze, c’est la râpure du peigne de saint Rodolphe qui faisait tomber la fièvre[32]. Certains saints sont même représentés avec un peigne comme attribut traditionnel. C’est le cas de sainte Véréna, sainte suisse, patronne des pauvres et des lépreux (PL.XXIX). L’organisation de processions autour des peignes peut alors expliquer leur taille surdimensionnée. Comme ils devaient être exposés et transportés, il fallait qu’ils puissent être vus de loin d’où leur grande taille. Un support ou un contenant leur était adjoint. Ainsi, un piédestal soutenant le peigne de saint Gauzelin est dessiné dans les albums de B.de Montfaucon[33]. D’autre part, l’inventaire de la collégiale de Saint-Omer (1557) mentionne l’usage de boîtes transparentes[34] pour contenir les peignes.

 

       Le nombre de peignes connus aujourd’hui n’est pas proportionnel au nombre de cathédrales ou d’abbayes qui ont fleuri pendant l’an Mil. De fortes inégalités financières entre les édifices religieux et les régions peuvent expliquer leur rareté. D’autre part, ces objets étaient sans doute très convoités et notamment ceux en métaux précieux.

Au travers des changements de formes, des changements historiques  sont perceptibles, c’est pourquoi, le peigne est une source historique à ne pas négliger.

 

3) Evolution historique

 

La forme verticale, bien que déjà employée dans l’Antiquité, est réservée pour une partie du Moyen Age (du VIIe au XIIIe siècle) à la liturgie. A l’origine, les peignes en ivoire constituaient des présents échangés entre grands personnages (royaux[35] ou ecclésiastiques) en gage d’amitié. Par exemple, la reine Aerthelburth reçue en 625 une lettre  de Boniface accompagnée d’un peigne d’ivoire dans l’espoir de convertir son mari à la religion catholique. De même, Alcuin reçut en 794, un peigne en ivoire décoré de deux têtes d’animaux de la part de l’archevêque de Mainz, Riculf[36]. Avec l’essor de la construction de cathédrales vers l’an mil, la consécration de nouveaux évêques fut institutionnalisée par différents rites dont celui de la tonsure.

Nés dans un contexte de chasse aux reliques pour attirer les fidèles, tous les objets ayant appartenu à des personnalités fondatrices furent susceptibles de constituer de nouvelles reliques. D’autre part, la rareté de l’ivoire d’éléphant jusqu’au XIIIe siècle, renforçait le prestige des objets fabriqués dans ce matériau.

Au départ, symboles de prestige, de spiritualité et de puissance, les peignes présents dans les trésors de cathédrales ou d’abbayes se sont progressivement démodés. Les peignes en ivoire  ne sont plus cités dans les inventaires que comme des choses du passé. Selon R. Koechlin[37], les derniers dons de peignes en ivoire destinés à la cathédrale de Lyon datent de 1217 et 1259. Ils sont appelés veteres en 1347 (inventaire d’Amiens), classés parmi les « diverses fachons vies» en 1359 et « fretin » dans les inventaires de la Collégiale de Saint Omer en 1557. D’après M.Bretagne (1861), le Pontifical de Clément VIII (1592-1605) ne les mentionne plus, à partir du XVIe siècle, que pour le sacre des évêques. Cependant, leur utilisation s’est prolongée jusqu’au XXe siècle[38].   La forme verticale fut abandonnée au profit d’une forme plus adéquate, horizontale, capable d’accueillir un décor plus développé correspondant aux attentes d’une clientèle plus large.

d) Les inscriptions

Sur la totalité des peignes monoblocs, seulement dix-huit présentent des inscriptions manuscrites ou sculptées. Généralement «profanes» sur les peignes d’apparat en buis, ces inscriptions peuvent être  «religieuses» sur les peignes en ivoire. Mis à part, l’ivoire et le buis, les autres matériaux ne reçoivent pas d’inscriptions.

Les inscriptions de nature religieuse ou ayant un rapport avec des personnages ecclésiastiques ne concernent que les peignes en ivoire. Deux d’entre elles sont écrites à l’encre noire tandis qu’une autre est directement sculptée sur une des faces du peigne.

Selon la note écrite à l’encre noire sur le peigne n°41, il aurait été offert par le pape Grégoire[39] à la reine Berthe[40], deux personnages historiques importants. Les cadeaux entre personnages de hauts rangs témoignent généralement des contacts politiques (conversion au christianisme) entre le Clergé et la Noblesse. En effet, déjà au VIIe siècle, le pape Boniface IV (617-625) offrait à la reine Ethelrède un peigne en ivoire recouvert d’or[41]. Tout comme l’inscription en lettres modernes rédigée sur les deux faces du peignes de Belley (n42°  ), celle du peigne n°41 n’est pas contemporaine à la réalisation du peigne. En effet, la note du peigne de la reine Berthe (+1024?) fut rajoutée à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle[42]. Toutes deux identifient le personnage à qui appartient le peigne. Cependant, le peigne présumé de saint Arthaud est proche par son décor d’un peigne italien, conservé parmi les reliques de Saint Bernard[43] à l’Eglise de la Trinité à Florence.

Une autre inscription, cette fois-ci gravée sur une seule face[44], orne le peigne anglais (?) n°32  dont les dents en forme de cran sont très différentes des dentures généralement adoptées.

L’inscription, incomplète, fait référence à Dieu et le décor reprend des motifs enluminés. Cependant, selon l’avis d’un des derniers ivoiriers de Paris (M.Heckman), ce travail ne serait pas médiéval. Comme c’est un cas particulier, cette hypothèse est plausible.

Comparativement, les peignes verticaux monoblocs possèdent davantage d’inscriptions. Les notes manuscrites sont plus tardives comme en témoigne l’analyse paléographique. Du IXe au XIIe siècle, il est courant de rencontrer ces étiquettes et ces devises particulièrement sur les ivoires d’origine allemande.

A l’opposé des peignes en ivoire, les peignes d’apparat ou «profanes» en buis possèdent presque systématiquement des inscriptions. Les peignes en buis découverts en fouille ne possèdent aucune inscription donnant des indications sur l’artisan qui les a fabriqué seulement le genre de l’inscription donne un aperçu des propriétaires car ce sont essentiellement des devises galantes. Elles témoignent de l’attachement de celui qui offre le peigne. Rédigées en lettres gothiques, en français, ces inscriptions s’accompagnent d’un décor évocateur, remplaçant le mot coeur par son symbole dans les phrases. Les mains tenant des flèches perçant des coeurs à la manière de Cupidon confirment le sujet évidemment galant et romanesque de ces peignes(n°69). Un peigne en bois (n°66  ) du XVe siècle, découvert dans la Tamise à Londres, présente une inscription incomplète peinte qui pourrait se compléter ainsi: «PER BYEN/ VOUS DONNE»[45].

Le même genre d’inscription se retrouve sur des valves de miroirs[46] ( Pl.XXXVIII ), des boîtes de courriers, des coussins en soie, des bijoux ou des accessoires de vêtements. Ainsi, à l’intérieur d’anneaux offerts par Jehan de Sainté[47] aux dames de la cour, se trouve cette devise: «Souviègne vous de moy». Le thème du souvenir est assez récurrent comme l’indiquent les devises des peignes et n°. Des fermaux ou des agrafes pouvaient recevoir le même type de citations: «A vous à qui je donne de bon coeur» ou «je suis donné par amoureux».

Les grands thèmes affectionnés par les gens de Cour (textes de chansons par exemple) sont développés au travers des inscriptions comme du décor. Cadeaux d’estime ou cadeaux de mariage, la fonction de ces peignes restent encore à élucider.

La présence de blasons(   ) ou d’initiales ( le «M» de Marguerite de Flandres, fiche n°64) permet d’associer certains de ces objets de luxe à des personnages historiques. En dehors de tous soucis d’authenticité, c’est  généralement grâce à ces noms prestigieux qu’ils sont parvenus jusqu’à nous.

e) Le décor

 

Le peigne n’est pas seulement un accessoire de coiffure  puisqu’il informe sur les goûts du propriétaire. Grâce aux motifs choisis et aux thèmes développés, l’artisan satisfait les attentes d’une clientèle de plus en plus large. Ainsi, les épopées chevaleresques du XIVe siècle sont remplacées progressivement par des satires sociales.

Comme plus de 77% des peignes monoblocs sont décorés (sculptés en faible relief, de manière ajourée ou peints), la place de ce critère est importante. Les deux catégories de peignes - d’apparat et communs- , seront étudiées successivement. Les peignes d’apparat (ou de luxe)  sont en ivoire (sauf un qui n’a pas de décor, n°49  ) et en buis alors que les peignes communs peuvent être en buis comme en os et en corne( ces deux derniers matériaux ne sont jamais décorés).

 

Bas- reliefs

Peints

Ajourés

Aménagements des rives

Total

%

Peignes décorés

29

5

29

16

79

77,6

Peignes sans décor

     _

       _

      _

       _

22

22,4

(Tableau  n°4   indiquant la répartition des peignes décorés par rapport aux peignes vierges.La technique de décoration est également indiquée. Plusieurs techniques peuvent être employées sur un même peigne).

 

 

6      LES PEIGNES D’APPARAT (en buis et  en ivoire)

 

      les techniques de décoration

      Comme le tableau n°4   le montre, les peignes sculptés en faible relief (sur fond guilloché le plus souvent ou peint pour faire ressortir la composition) et les peignes au décor ajouré (sur les peignes en ivoire comme sur les peignes en buis) sont les plus nombreux.

En effet, la présence de décors peints est extrêmement rare car  la peinture tient difficilement, et d’autre part, par ce que la nature de la documentation consultée (une majorité de photos en noir et blanc) ne permettait pas de juger d’éventuelles traces de polychromie. La peinture constitue soit le seul élément de décor (peignes n°83 et n°42 ) soit elle rehausse les détails sculptés (n°81  et 86  ). Peut-être la peinture sur ivoire est-elle plus courante en Italie[48] car trois des exemples peints en sont originaires. Les sujets traités peuvent être aussi bien profanes (peigne 59 ) que religieux ( peignes n°81  et n°86   ). Certains décors de peignes peints sont proches des motifs utilisés dans les scriptoria. L’utilisation de peinture n’est cependant pas conseillée pour les peignes destinés à être manipulés fréquemment. Le peigne n°83 porte des traces de polychromie sur sa denture inférieure ce qui présuppose une fonction uniquement décorative de l’objet.

  

Les vingt-trois peignes en buis «profanes» conservés au musée du Moyen Age ne présentent pas de traces de polychromie contrairement à celui retrouvé dans la Tamise (n°66 ) dont l’inscription est peinte en noire sur un fond ocre. Peut-être teints pour rehausser la couleur naturelle du bois, les peignes en buis n’étaient sans doute pas peints pour éviter que la peinture tombe dans les cheveux[49]. La technique de travail «à jour» est employée sur une grande série de peignes en buis ce qui fait suggérer à E. Molinier, qu’il s’agit d’une industrie plutôt que d’un artisanat particulièrement prospère entre la fin du XIVe siècle et le XVIIe siècle. Des motifs d’arcatures gothiques, de rosaces et d’étoiles sont systématiquement employés comme pour mettre en valeur leur rôle de meubles miniatures (les peignes 74, 91 contiennent chacun deux miroirs en étain). Repris sur des coffrets, des étuis à livre (Pl. XXXX  ) et d’autres objets de rangement, ces motifs accompagnent généralement une inscription ou un décor central de coeur fléché. La couleur est apportée par des tissus colorés passés sous les éléments découpés.

La technique de la marqueterie (et celle de la pose de clous argentés) n’est utilisée qu’une seule fois sur le peigne n°64 attribué à Marguerite de Flandres. L’analyse (en dehors de celle de  l’héraldique) du papier manuscrit  (en lettres gothiques bleues), servant de support à cette bande marquetée (bois teintés vert et  blanc), permettrait sans doute de préciser la date de la pose de la marqueterie sur ce peigne attribué au XIVe siècle.

      la place du décor

Le décor se développe essentiellement sur la zone centrale des peignes  mais aussi sur les dents de garde des peignes d’apparat qui sont plus larges que les autres catégories de peignes. En forme de H, l’espace mis en réserve est occupé soit par des scènes historiées soit par des motifs géométriques. Les tranches des peignes peuvent également être sculptées (PL.XXXIV   ) mais comme ce travail fragilise les peignes d’ivoire, elles le sont rarement. L’épaisseur des peignes de buis ne permet pas de sculpter les tranches mais les dents de garde sont parfois assez larges pour être ornées.

      les sources d’inspiration:

Les peignes en ivoire  à décor profane s’inspirent surtout de romans chevaleresques (Tristan et Yseult), de légendes, de contes, de récits mythologiques et de chansons colportées par les troubadours à partir du XIIe siècle dans les cours de France. Les personnages bibliques (« Suzanne et les vieillards», peigne n°59   ), les héros de la mythologie grecque («Le jugement de Pâris», peigne n°87 et 100  ) et les philosophes (Aristote chevauchant une courtisane, peigne 80  ) sont utilisés dans l’ornementation de ces peignes par des artisans dont le but est de satisfaire une clientèle aux goûts aristocratiques. En effet, ce sont les jeux (dés, échecs...), les danses ( Concerts champêtres accompagnés de musiciens) , les châsses (à cour et au vol) qui sont mis en valeur. Les décors présentent une société idéale dont les codes de représentation vont être progressivement abandonnés à la fin du XVe siècle. 

L’intérêt pour la littérature classique (Aristote est représenté chevauchant une courtisane) se manifeste au travers de scènes satiriques ( La Fontaine de Jouvence où un marchand tente d’entraîner sa jeune épouse).  Ces scènes courtoises représentées sur des peignes en ivoire du XVIe siècle montrent des couples de jeunes gens habillés et coiffés  selon la mode du XIIIe siècle[50].  L’art courtois[51] appartient sans doute à une forte tradition stylistique, utilisant les mêmes modèles sur plusieurs siècles et sur plusieurs types d’objets[52].  L’Amour (scènes de l’Offrande du Coeur puis du Couronnement de l’amoureux) et le mariage( Cortège nuptial), l’érotisme ( suggéré par la nudité des héros mythologiques: Betshabée au Bain, les déesses se présentant devant Pâris qui doit juger de leur beauté), sont les sujets les plus traités. A partir du XVIe siècle, l’intérêt pour la mythologie se manifeste au travers de médaillons mélangeant portraits de personnages réels (peut-être est-ce les propriétaires eux-mêmes qui sont représentés ?) vêtus à la mode de Louis XII[53] et  bustes de héros grecs (peignes   ).          

Les scènes religieuses sont traitées avec les mêmes canons iconographiques. Ainsi, deux peignes en ivoire (n°81 et n°86) présentent deux scènes de la Vierge (Annonciation au recto et Adoration des Mages au verso) presque semblables. Ces scènes sont fréquemment associées à des sujets profanes comme sur un coffret français du XIVe siècle en ivoire[54]. La limite entre décor profane et décor religieux est extrêmement mince à l’approche de la Renaissance, c’est pourquoi il est si difficile de déterminer la  place  d’un objet dans la vie quotidienne à travers son décor.

Des scènes de la vie du Christ sont développées sur deux peignes principaux en ivoire (n°38 et n°39  ). Il est difficile de leur attribuer une fonction liturgique puisque le contexte de leur découverte est inconnu. Par contre, les peignes en ivoire horizontaux provenant de la cathédrale de Bamberg ( représentation de l’Agneau divin sur le peigne    ) présentent des motifs caractéristiques de l’art roman (comme ces médaillons occupés par des animaux fantastiques) dont l’iconographie a déjà été étudiée pour les peignes Bv.

Les peignes en ivoire conservés dans les églises appartiennent soit à l’Eglise -dans ce cas il s’agit de dons de personnages importants-sont offerts à titre privé à un évêque. C’est peut-être pour cela, que les peignes des Trésors sont plus grands que les autres.  Un usage privé de ces peignes permettrait de comprendre pourquoi les objets sont associés au nom d’une personne, d’un saint le plus souvent (saint Arthaud, saint Bernard...).

w Les peignes d’apparat:

Objets de prestige, destinés à être montrés, ils ne servaient probablement pas à entretenir régulièrement des coiffures. En effet, leur taille et le bon état de conservation de la denture confirment cette première hypothèse. Ces objets étaient sans doute offerts en cadeau car les inventaires mentionnent les dons de peignes du roi de France[55] à ses sujets. Les thèmes abordés par l’iconographie ont un lien étroit avec le mariage. Le poète G.Deschamps[56]  décrit ainsi ce que doit contenir le trousseau de la jeune mariée:

« Pigne, tressoir, semblablement

et miroir pour moy donner,

D’yvoire me devez donner,

Et l’estuy qui soit noble et gent,

Pendre a cheannes d’argent ».

 

La proximité du décor des peignes et des miroirs en ivoire

(Pl.    ) confirment l’hypothèse d’une commande commune passée dans un même atelier lors d’un mariage, sacrement célébré à partir du XIIe siècle par l’Eglise.  Les femmes appartenant à la Noblesse[57] ou à la Bourgeoisie  pouvaient posséder de nombreux peignes comme en témoigne l’ inventaire des possessions de Marguerite de Flandres[58], duchesse de Bourgogne.  Gilles de Gorrozet[59] explique que ces peignes servaient aussi bien à peigner les cheveux qu’à entretenir la barbe c’est pourquoi, les hommes possédaient également ces accessoires

« Estuy ou pignes sont dedans

A grosses et menues dents

Les quelz pignes, debvez vous croire

Sont d’ebene ou de blan yvoire

Ou de bouys, pour galonner

Les beaulx cheveulx et testonne

Ainsi la longue barbe blonde ».

 

,         les peignes en ivoire:

      Certains peignes mettent en scène des personnages allant à la noce en dansant. Le thème du cortège nuptial est présent sur au moins deux peignes en ivoire (n°82   et   n°92   ). En Allemagne, c’était la coutume au XVe siècle de fêter les fiançailles en musique [60]. La présence de bouffons et de musiciens (jouant du tambour, de la flûte ou de l’orgue) sur le bandeau central des peignes est révélatrice de leur fonction festive.

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Au travers des scènes historiées se dégage une critique sociale particulièrement virulente au XVIe siècle. Alors que les stratégies matrimoniales sont critiquées, l’image de la femme est revalorisée. D’un côté, le mariage médiéval s’illustre par des époux ayant une grande différence d’âge (la Fontaine de Jouvence) et de l’autre, la fécondité des la femme est mise à l’honneur (scènes de l’Annonciation et présence de licornes sur certains coffrets de mariage).

Les peignes en ivoire n’étaient pas tous offerts lors des mariages mais ils constituaient le cadeau idéal à la jeune épouse[61].Des coffres[62] de mariage  reçoivent également un décor mêlant rite païen (associé à la fertilité) et rite religieux.

Tous les peignes ne sont pas cependant des peignes de mariage même ceux qui possèdent des devises amoureuses.  D’autre part, il est fort possible que ces usages ne soient pas répandus dans toute la société médiévale. Il s’agit d’une production de luxe comme en témoigne la présence fréquente d’armoiries sur les peignes en buis et en ivoire.  Celui de Jeanne de Boulogne est décrit ainsi dans l’inventaire de ses biens daté de 1360: il est orné de ses armoiries  et contenu dans un étui brodé pendant à un lacet de soie.

Les qualités artistiques de ces peignes ont permis leur conservation alors que la production de peignes communs est à peine visible.